Introduction
L’Évêque de Sherbrooke, Mgr Paul Larocque , lorsqu’il accueille les FCSCJ dans leur première maison au Canada (à Magog, Qc), leur promet que ce ne sera pas la seule maison du diocèse. Trois ans plus tard, en 1909, il demande 20 religieuses pour ses écoles. Il n’en obtiendra que 8 cette année-là mais chaque année par la suite, des couvents s’ouvriront. Si bien qu’en 1949, le Québec compte 40 maisons. En 1962, la Congrégation compte 584 soeurs au Québec réparties en 50 communautés locales; plus de 500 d’entre elles sont originaires du diocèse de Sherbrooke. Pendant toutes ces années de croissance, jusque dans les années 1970, les engagements des sœurs et leur implication dans la société se sont effectués selon trois champs d’activité : l’éducation, les soins en milieu infirmier et les services largement diversifiés dans les milieux ruraux.
L’enseignement de 1907 à 1970
Dès les débuts de leur Congrégation (1823), les FCSCJ reçoivent le mandat de « donner une éducation chrétienne aux enfants et aux jeunes personnes et (de) les instruire suivant leurs moyens et leur condition, avec soin, de bon cœur et d’une manière efficace. » (Règles et constitutions, Constitution VI, 3e) Cette directive reçue de leurs fondateurs inspire les sœurs établies au Québec depuis 1907.
La fondation de la Crèche et du couvent de Magog, puis celle du couvent de Valcourt, sont le point de départ d’un essor qui grandit jusqu’aux années 70. Aux fondatrices d’origine française se sont alors ajoutées 863 religieuses d’origine canadienne et américaine. Géographiquement, le terrain d’insertion de la Congrégation couvre un rayon de 200 kilomètres carrés ayant pour centre la Ville de Sherbrooke (90,000 habitants) située au sud de la province de Québec, à 30 kilomètres de la frontière des États-Unis. À cela, on doit ajouter 10 établissements en Abitibi (le premier en 1925) et quelques pointes de présence dans d’autres provinces et d’autres pays.
Dès l’ouverture des premières écoles, l’ardeur et la compétence que les sœurs mettent à l’accomplissement de leur tâche déborde largement les limites du couvent. Le curé de la paroisse trouve chez les sœurs des collaboratrices pour ses œuvres pastorales, les jeune filles un lieu de rassemblement, les malades, les vieillards et les pauvres, des soins attentifs, les familles une amitié et un dévouement discrets et toujours assurés.
La Congrégation a connu un développement progressif de la formation de ses enseignantes, stimulé par le niveau croissant des études dans la province de Québec, la nécessité de s’adapter aux divers changements de programmes et de méthodes, l’engagement des sœurs dans l’enseignement secondaire, puis collégial et universitaire.
Par souci d’une compétence accrue au service de l’éducation, la Congrégation a fondé quelques institutions d’enseignement privées qui ont eu une grande importance dans leur milieu:
- le Scolasticat-École normale Saint Sacrement (1937)
- l’École normale Notre-Dame du Sacré-Coeur (1942)
- le Collège du Sacré-Coeur (1945)
Ces trois établissements, ainsi qu’une école maternelle et un cours dit pré-classique, tous situés à Sherbrooke, sont les seules institutions scolaires privées que la congrégation a possédées au Québec. Les autres étaient des écoles de commissions scolaires.
L’École normale Notre-Dame du Sacré-Cœur ouvrit ses portes à toutes celles – de sexe féminin seulement, selon les pratiques de l’époque – qui se destinaient à l’enseignement. Elle accueillit un total de 3734 élèves et dut fermer ses portes après la réforme recommandée par la Commission royale d’enquête sur l’enseignement, dite Commission Parent et mise en œuvre par le Gouvernement du Québec qui confiait aux universités la formation des maîtres. Plusieurs enseignantes FCSCJ migrèrent vers l’Université de Sherbrooke en même temps que leurs élèves.
Le Collège du Sacré-Cœur fut le premier établissement d’enseignement collégial féminin de la région. Il s’adressait aux religieuses et aux jeunes filles laïques qui se préparaient à des études de niveau universitaire. Jusqu’en 1960, l’enseignement et les tâches de soutien étaient presque entièrement remplies par des religieuses. Lui aussi a vu sa clientèle dirigée vers les universités à la suite de la réforme instiguée par le Gouvernement du Québec en 1964. Il avait à ce moment donné la formation à 4927 élèves.
De quelque niveau qu’il soit : collégial, secondaire et même dans bien des cas élémentaire, un établissement des FCSCJ est à la fois externat et internat. La résidence des religieuses est contiguë aux locaux scolaires et au pensionnat. Le tout forme le couvent : milieu de vie ouvert aux jeunes et à leurs parents, en lien avec la communauté paroissiale.
Deux personnes ont marqué le monde de l’enseignement chez les Filles de la Charité du Sacré-Coeur de Jésus. Ce sont Sœur Thérèse-Marie et Sœur Renée-du-Saint-Sacrement.
Sœur Thérèse-Marie, arrivée de France en 1920 et préfète des études jusqu’en 1949, avait un grand souci de la compétence des institutrices FCSCJ et de l’efficacité de leur enseignement. On ferait facilement un film ou un roman pour rappeler tous les moyens qu’elle mit en œuvre pour élever le niveau de la formation, celle des sœurs et celle des élèves. Mentionnons les cours de vacances inaugurés en 1926 où les sœurs préparent les examens du Bureau central et ceux de l’Université de Montréal. Mentionnons, pour l’importance de ce stimulant et pour son originalité, les cahiers de roulement. Dans un même cahier, les élèves écrivaient leurs devoirs scolaires à tour de rôle. Puis l’enseignante envoyait ce cahier à Sœur Thérèse-Marie qui l’annotait et l’exposait dans une salle où toutes pouvaient l’examiner au cours des vacances.
Sœur Renée-du-Saint-Sacrement commence à seconder Sœur Thérèse-Marie à partir de 1933 et lui succède en 1949. De son bureau situé sur le campus de la rue du Parc, entre le Collège et l’École normale, elle demeure jusqu’en 1969 l’inspiratrice, le soutien, mieux encore l’agent actif du perfectionnement continu et de l’innovation pédagogique.
Remarquable est l’aptitude que possède la directrice générale à se créer des relations intéressées à l’éducation, ou bien encore celle de trouver aussi bien à l’étranger qu’au pays des personnes expertes qui puissent contribuer à perfectionner ou à rénover l’enseignement dans la discipline de leur compétence respective. Mentionnons-en quelques-uns : l’abbé Henri Bissonnier, président du bureau international catholique de l’enfance (France) et Mlle Jeannine Guindon, directrice du Centre de formation des éducateurs spécialisés de l’Université de Montréal; M. François Coudreau, pss, fondateur de l’École supérieure catéchétique de Paris; le professeur Dienes pour la méthode Cuisenaire-Gattegno, Mgr Émile Chartier, ancien vice-recteur de l’Université de Montréal.
Une contribution importante de Sœur Renée au domaine de l’enseignement fut la création et l’application de la Méthode dynamique de lecture. Sœur Renée du Saint-Sacrement, de son nom civil Antoinette Guinebretière, fut la mère de cette méthode qui forma des centaines d’enfants dans toutes les provinces et territoires du Canada ainsi que dans d’autres pays : Honduras, Polynésie française, Etats-Unis, etc. Élaborée et expérimentée à partir de 1942, elle fut reconnue officiellement par le Département de l’Instruction publique en 1953 et des FCSCJ ont continué à la développer jusqu’à ces toutes dernières années.
C’est à partir de la phrase et même du récit que les écoliers et les écolières commencent l’apprentissage de la lecture, à partir de leurs intérêts immédiats d’enfants de cinq ou six ans. C’est dire que la méthode intègre les principes de psychologie et de psycho-pédagogie propres au développement de cet âge. Elle fait appel aux facultés d’analyse et de synthèse dont les jeunes sont capables et vise à développer l’observation, l’imagination, le goût pour la narration écrite et orale, le dessin, le mime et le chant.
Sœur Renée et son équipe ont mené de front:
- la recherche théorique
- la création d’instruments pédagogiques (livres de lecture, cahiers d’exercices, fiches de travail, ouvrages de psycho-pédagogie et de méthodologie, guides du maître, etc. illustrés, imprimés et diffusés d’abord par les soins des religieuses avant d’être confiés à des professionnels de l’édition)
- et l’expérimentation dans quelques écoles.
Mais on n’utilise pas cette méthode sans formation appropriée : à la fin de l’année scolaire 1968-1969, 18 968 institutrices avaient suivi les cours et avaient été supervisées dans l’application de la méthode en classe.
De 1908 à 1970, l’enseignement de la musique tient aussi une place à part chez nous. Dans la plupart des écoles, les sœurs offrent hors cours des leçons de piano, dirigent une chorale paroissiale et initient leurs élèves au solfège. C’est que dès leur formation initiale dans la Congrégation, bon nombre de sœurs purent acquérir des notions de théorie musicale, les principes de la direction du chant grâce aux ressources internes de la Congrégation et à celles de l’extérieur : les religieuses des Saints Noms de Jésus et de Marie, les moines de Saint-Benoît du Lac, Sœur Marie du Christ, dominicaine rattachée à l’Université et à l’Institut pédagogique de Montréal pour la méthode Ward. À partir de 1955, des sœurs complètent leur formation musicale à l’École Vincent d’Indy ou à la Faculté de musique de l’Université de Montréal. Elles deviennent ensuite les maîtresses de l’école de musique.
Une mention spéciale doit être accordée à la formation musicale donnée au Collège du Sacré-Cœur. Regroupant les élèves de tout le campus de la rue du Parc, cette « école de musique » offre des cours depuis le niveau préparatoire jusqu’au lauréat et, pour certaines élèves, jusqu’à un « baccalauréat classico-musical ». Pour ces dernières, la formation de base et la maîtrise d’un instrument constituent une option du cours collégial reconnu par l’Université de Sherbrooke. L’école, qui a compté certaines années jusqu’à 150 élèves, doit pour une part sa culture générale et le renouvellement de ses méthodes à M. Paul Loyonnet, professeur à l’école Vincent d’Indy, et aux conseils des professeurs de la Faculté de musique de l’Université de Montréal, membres assidus d’un jury d’examen.
Dans Magog, l’Harmonie Notre-Dame a rassemblé autour de Sœur Saint-Gérard et de celles qui lui ont succédé des jeunes filles désireuses d’apprendre à jouer d’un instrument et de s’exprimer dans des prestations de groupe: concerts en plein air, etc.
La formation en soins infirmiers – substantielle chez nous – sera traitée dans la partie suivante concernant notre implication dans le domaine de la santé.
En 1969, alors que se ferment l’école d’infirmières de l’Hôtel-Dieu ainsi que l’École normale Notre-Dame du Sacré-Cœur, tandis que le collège classique du Sacré-Cœur s’apprête à céder ses droits à une association coopérative formée par les parents de ses élèves, les religieuses qui oeuvrent dans ces institutions vont s’intégrer au personnel enseignant, les unes au CEGEP, les autres à l’Université de Sherbrooke, d’autres à l’actuel Collège du Sacré-Cœur, d’autres vont enseigner dans les établissements secondaires publics. Même si la Congrégation ne possède plus aucune institution privée, son Bureau des études et son Centre de pédagogie dynamique vont poursuivre sur leur lancée leur tâche respective au service de l’enseignement, le premier jusqu’à la mort de Sœur Renée du Saint-Sacrement en 1973, et le second jusqu’en 2002.
Le service de l’enseignement que la Congrégation a assumé dans la province depuis 1908, elle lui a consacré la plus grande partie de ses ressources humaines et financières. Aux élèves de ses établissements scolaires, elle a voulu donner le meilleur. Car elle a cru au rôle des personnes bien formées intellectuellement et moralement, quelles que soient les sphères de la société où elles exercent leur action.
Par leurs pairs, elles ont été considérées comme des enseignantes compétentes et ouvertes aux progrès pédagogiques et sociaux. Elles se sont aussi attiré la reconnaissance des autres congrégations religieuses enseignantes et des instituteurs et institutrices laïcs en leur donnant accès à la formation qu’elles organisaient pour leur propre corps professoral.
Aujourd’hui, il n’est pas étonnant que les enseignantes d’autrefois s’adonnent à des activités où la communication de connaissances occupe une bonne place : enseignement de la catéchèse, direction de petites chorales, animation de groupes de réflexion, etc. C’est leur façon de poursuivre leur action dans un champ pour lequel elles ont été formées, qu’elles ont embrassé avec toutes leurs forces et où elles peuvent exercer leur compétence. Ainsi, elles accomplissent toujours le rôle auquel les fondateurs, Jean-Maurice Catroux et Rose Giet conviaient leurs sœurs.
Présence des Filles de la Charité en milieux ruraux
Pendant la période concernée (1911-1970), les activités des religieuses dans les petites paroisses ou villages étaient très nombreuses et diversifiées, tout le contraire de la « spécialisation » !
À cette époque, plusieurs sœurs oeuvraient en ville, soit dans les hôpitaux, soit dans les écoles de quartier, soit dans des institutions scolaires plus spécialisées. Le plus grand nombre était dispersé dans des villages, en milieu rural. Elles étaient considérées comme des éducatrices bien formées pour l’enseignement, des femmes présentes à la vie concrète des gens, des femmes de foi chrétienne très engagées dans l’animation de l’Église locale.
- Être présente dans tel ou tel milieu visait d’abord et avant tout l’instruction des enfants et des adolescents. Les sœurs avaient le souci de préparer les élèves à leur réussite scolaire, à donner le sens de la responsabilité et à mettre en œuvre les talents de chacun.
- Que de sœurs ont mis du temps hors classe pour apprendre aux jeunes le dessin, le tricot, l’art culinaire, le chant, la musique, le théâtre!
- Certaines religieuses secondaient le médecin. Elles visitaient les malades, soignaient à l’occasion et assistaient les mourants. C’était la pratique concrète du « Tout à tous ».
- La formation à la vie chrétienne était pour les sœurs primordiale. Elles préparaient les enfants à la réception des sacrements, à la communion solennelle et à la profession de foi. C’était l’époque de la JIC – JOC – JEC, des Croisés et des Croisillons. Le « Voir – Juger – Agir » était une démarche pédagogique importante et elles transmettaient aux laïcs cette base éducative précieuse.
- Quant au Pasteur, le curé de la paroisse, il se fiait sur l’apport des religieuses pour l’entretien de l’église, la formation des « enfants de chœur », la préparation des célébrations et des nombreuses fêtes liturgiques. Les Quarante Heures, les mois dédiés à Saint Joseph (mars), à Marie (mai), au Sacré-Cœur (juin), la procession de la Fête-Dieu, etc… étaient souvent animés par les religieuses.
Jeter un regard sur cet aspect de l’histoire des Filles de la Charité du Sacré-Cœur de Jésus à cette époque, c’est prendre conscience à la fois du « zèle apostolique » des sœurs et d’une communauté de femmes bien insérée dans le peuple. Les sœurs ont tenu une large place dans la collectivité où elles étaient des témoins de la charité du Christ. Avec toutes les ressources dont elles disposaient, elles préparaient pour leurs concitoyens des lendemains meilleurs.