De retour d’une mission au Bénin, Colette s’est insérée dans une communauté d’accueil aux immigrants. Voici comment elle décrit ce qu’elle perçoit et ce qui l’interpelle.
Vivement une potion magique!
En mettant les pieds au 203 de la rue Laurier, je fais la connaissance d’une famille colombienne accueillie ici. Apprentissage de notre langue, recherche d’un appartement et plans d’avenir sont les occupations intenses de ses membres. C’était du gâteau pour moi, car le français commençait à devenir langue commune à eux et à nous et on pouvait combler le reste par l’anglais. Par la suite, les trois filles vont aux études, la mère continue d’apprendre le français au CEGEP en attendant de rejoindre le père qui a trouvé du travail selon ses compétences dans une petite ville voisine.
C’était pour moi le baptême de l’accueil d’une catégorie de nouveaux arrivants au Québec : les « indépendants », ceux qui quittent leur pays après de longues démarches (deux ans ou plus) pour assurer un avenir plus sécuritaire à leurs enfants et que le gouvernement accueille facilement parce qu’ils ont des compétences qui deviendront vite une richesse pour le pays.
ImigrantsLe jour où cette famille se préparait à nous quitter, on nous annonce une famille de Mexicains : les parents et trois garçons de 14, 10 et 9 ans, beaux comme des cœurs. Ils nous arrivent à pied, on ne sait d’où, en fin d’après-midi (habituellement, un membre du Service aux Néo-canadiens accompagne les arrivants). Sœur Jacqueline ravive son vocabulaire espagnol et sort ses dictionnaires, Sœur Hélène téléphone à une Sœur qui connaît cette langue, pour qu’elle leur explique le fonctionnement de la maison, et le « Coq rôti » vient satisfaire les estomacs visiblement affamés. Le lendemain, ils seront pris en charge par le Service. Je fais connaissance avec une deuxième catégorie de nouveaux arrivants, les « revendicateurs », ceux dont le gouvernement du pays a le devoir humanitaire d’examiner les raisons de demander à émigrer chez nous. Ils doivent étaler leur vie antérieure et remplir quantité de formulaires. A la fin de leur séjour d’une semaine, je suis allée les reconduire à leur appartement; j’ai eu peine à m’endormir le soir en revivant cette séquence d’une famille de cinq personnes qui déménage avec deux valises et une petite boîte de carton pour tout bagage. Ces gens reviendront nous visiter plus tard pour nous offrir leurs services : ménage, travaux d’entretien ou de réparations pour nous remercier de notre accueil; le garçon de 14 ans comprend déjà tout ce que nous disons en français.
Puis, nous avons eu une dame recueillie d’abord par deux jeunes compatriotes qui l’ont trouvée sur la rue en train de pleurer sous la pluie parce qu’elle ne savait pas où elle passerait la nuit. Nous savons seulement qu’elle a fui son pays en laissant ses enfants aux soins de son propre père, mais elle se débrouille bien en anglais et elle n’arrête pas de remercier le Seigneur d’avoir mis sur sa route de bons samaritains qui l’ont accueillie et l’aideront dans les multiples démarches qu’elle doit maintenant accomplir.
Une question vous vient sans doute à l’esprit. Qu’est-ce qui conduit ces gens à émigrer et à repartir à zéro?
Dans notre situation, la discrétion est de rigueur et nous ne posons pas de questions. Dans le cas d’une jeune fille, nous avons eu la consigne de ne dévoiler son nom à qui que ce soit. On suppose que la famille a été prise dans des conflits politiques et que le gouvernement de son pays a les moyens de rechercher les gens en fuite. Dans les pays où la violence a fait beaucoup de victimes, il est clair que le souci d’assurer un avenir plus sécuritaire à leurs enfants conduit les parents à chercher asile ailleurs. Dans d’autres cas, des extorsions de fonds entraînant des menaces de mort amènent des gens à tout laisser derrière eux. Telle femme a vu assassiner son père et sa mère. Telle petite fille, accompagnant sa mère sur la rue, voit des jeunes attablés sur le trottoir et dit : « Regarde maman, ils sont dehors et n’ont pas peur… » Ces réactions nous renseignent sur le contexte psychologique dans lequel ils ont décidé de partir. Mais ils ne se livrent pas aisément et on les comprend. Il y a leur histoire et il y a la barrière des langues.
Je voudrais vraiment tomber dans le chaudron d’une potion magique qui me donnerait instantanément la connaissance des langues!
Colette Lussier, fcscj
