Suite à l’application de lois restrictives envers l’enseignement dispensé par les Congrégations religieuses en France, beaucoup de Congrégations françaises cherchèrent des lieux d’insertion pour leurs membres dans divers pays. Notre congrégation établit d’abord deux maisons aux États-Unis, l’une à Newport, Vermont et l’autre à Champlain, New York.
Deux ans plus tard, soit en 1907, elle ouvrit une première maison à Magog, au Québec, dans la province francophone du Canada. Une soixantaine d’autres suivraient. Nous présentons ici une histoire des toutes premières années de la vie canadienne des FCSCJ. Nous empruntons à la plume d’une historienne, Sœur Jeanne-Agnès, fcscj, le récit imagé et circonstancié de la fondation des trois premières maisons de la Congrégation au Canada, soit celle de la Crèche de Magog en 1907, celle du couvent de Magog et celle du couvent de Valcourt, toutes deux en 1909.
L’HISTOIRE DES DÉBUTS
La Crèche de Magog
Magog est une petite ville industrielle de l’Estrie, à 30 milles au nord de Newport, au Canada, dans la province de Québec. L’abbé Charles-Edouard Milette, prêtre excellent, actif et dévoué, travaille depuis 25 ans dans cette paroisse florissante. Pendant ce quart de siècle, il a construit une magnifique église de pierre, de style ogival, et deux écoles; l’une est dirigée par des religieuses, les Sœurs de Sainte-Croix; l’autre, par les Frères du Sacré-Cœur. L’abbé Milette ne cherche pas encore le repos, car il ne peut rester indifférent à la souffrance de ses paroissiens; il caresse l’espoir de venir en aide aux pauvres et aux vieillards. Dieu bénit toujours l’homme de désir. Aussi envoie-t-il à M. Milette l’argent nécessaire à la fondation de son œuvre.
Un ancien ministre protestant, converti, est devenu prêtre catholique et protonotaire apostolique. Il vit à Magog, retiré dans une maison appelée encore aujourd’hui le château Ramsay. Or, M. Milette est le confident et l’ami du gentleman-farmer, Mgr David Ramsay. Généreux, Monseigneur ouvre souvent sa bourse pour soulager les pauvres de M. Milette. Un certain jour, il offre au curé une somme d’argent considérable pour l’aider à établir une œuvre de bienfaisance dans la paroisse.
Il y a à Magog un grand nombre de familles pauvres, dont la mère pourrait travailler à la manufacture si des personnes charitables et dévouées gardaient leurs enfants durant la journée. M. Milette soumet son projet à son évêque, Mgr Paul LaRocque. Il présente en même temps le don de Mgr Ramsay. L’évêque approuve l’idée par cette lettre, datée du 25 octobre 1906 :
Monsieur le Curé,
En réponse à la vôtre de ce jour, je n’hésite pas à vous dire que je verrais avec bonheur et que je bénirais de tout cœur l’établissement d’une crèche à Magog. Cette crèche, placée de façon à ce qu’elle soit d’un accès facile aux mères de familles, qui y déposeraient leurs petits enfants en se rendant à leur travail, soit dans les manufactures, soit chez les particuliers, cette crèche, dis-je, rendrait, je n’en doute pas, de très grands services à beaucoup de familles pauvres. Une institution de ce genre me semble particulièrement opportune et désirable dans une localité comme la vôtre et je vous autorise bien volontiers à travailler à l’y établir.
Quant à trouver une communauté religieuse qui se chargerait dans des conditions acceptables et avantageuses au diocèse et à votre paroisse en particulier, de la direction de cette crèche, la chose n’est peut-être pas absolument facile. Toutefois, vous aurez peut-être quelque chance de succès avec des Sœurs de France qui se sont maintenant établies à Newport. Vous aurez toute liberté de vous occuper de cette question avec ces Sœurs de Newport […]
(signé) Paul, évêque de Sherbrooke.
M. Milette vient à Newport et gagne Sœur Marie-Alexandrine à sa cause. Celle-ci s’empresse d’écrire en France la demande qui leur donne entrée au diocèse de Sherbrooke. […] La réponse ne se fait pas attendre. Sœur Marie-Alexandrine, accompagnée de sœur Élie-du-Carmel vont rencontrer pour la première fois l’évêque avant de se rendre à Magog. Elles arrivent à Sherbrooke par une froide journée d’hiver. À la gare, dans un tourbillon de neige, elles aperçoivent les conducteurs de traîneaux qui crient le prix du voyage. Assises dans la voiture chaudement capitonnée, elles regardent curieusement le conducteur sous sa fourrure. Elles ont du plaisir, cela leur fait penser au « féerique bonhomme hiver que les enfants admirent aux vitrines des magasins de France à l’époque des étrennes. »
Mgr LaRocque reçoit les sœurs très aimablement; il leur explique ses vues sur la fondation projetée et laisse entendre que la Crèche de Magog ne sera pas la seule maison des Filles de la Charité du Sacré-Cœur dans son diocèse. Ce premier contact enthousiasme les sœurs :
Nous l’avons remercié au nom de nos bons supérieurs et en notre nom de son gracieux accueil et lui avons demandé sa bénédiction avant de commencer notre mission au Canada. Il a paru très touché de notre démarche et nous a retenues près d’une demi-heure, nous avons parlé de notre Congrégation, de la France, il a été d’une bonté paternelle! Au moment où nous avons voulu le quitter il nous a dit : « Mais, vous ne partez pas à Magog ce soir, il n’y a pas de train, vous restez avec nous », puis il téléphona lui-même aux Religieuses de la Ste-Famille de venir nous chercher. Une Sœur arrive et Monseigneur lui dit : « Voilà 2 religieuses françaises, ce sont nos sœurs désormais, emmenez-les coucher chez vous, et soignez-les de votre mieux. » Elles se sont bien acquittées de la commission, je vous assure, bon Père, elles nous ont comblées de bontés, de délicatesses et nous sommes revenues toutes chargées de petits présents que discrètement elles ont cachés dans nos sacs : café, bonbons, gâteaux; puis, elles nous ont donné deux manteaux qu’il nous a fallu absolument accepter…
Mère Léonie n’a pas besoin de cet ordre de son évêque pour être charitable. Tous connaissent sa bienveillance et sa délicatesse. Cette rencontre formera le premier chaînon du lien qui existera entre elle et les « petites Sœurs Françaises ». Elle restera la pourvoyeuse aimable tant à l’occasion du passage des sœurs de Newport à Sherbrooke qu’aux premiers jours de leur établissement dans la ville.
Le lendemain, les sœurs se rendent à Magog pour visiter les lieux avec le curé, l’abbé Milette, afin de trouver une maison convenable à l’établissement d’une crèche près de la filature. Après avoir visité plusieurs immeubles et terrains, le curé et les religieuses en arrivent à la même conclusion : Il faut bâtir. Un terrain est acheté qui avoisine la manufacture, face à la rivière Magog.
Le 1er octobre 1907, sœur Saint-Didier vient prendre la direction de la Crèche avec quatre compagnes : les sœurs Marie-Clémence, Appoline, Françoise-des-Cinq-Plaies et Anne. La supérieure et fondatrice de notre première maison au Canada eut la responsabilité de cette œuvre pendant 24 ans; spontanément, au nom de la Crèche on ajoute celui de Sœur Saint-Didier.
Les religieuses n’entrent pas immédiatement dans leur nouvelle construction, qui ne doit être terminée qu’à la fin du mois. Une maisonnette, que l’on a aménagée en attendant, est mise à la disposition des sœurs. Tous les jours, le curé et de généreux citoyens apportent aux religieuses des paniers de provisions; les Sœurs de Sainte-Croix et les Frères du Sacré-Cœur donnent leur large part. On est vraiment choyé : l’évêque, lui-même, a voulu, dans son diocèse, les Filles de la Charité du Sacré-Cœur; le curé est fier de ses « sœurs françaises »; les paroissiens se dérangent pour venir souhaiter la bienvenue aux religieuses et les assurer de leur collaboration.
À mesure que les ouvriers finissent les pièces, les sœurs aménagent. Elles mettent tout leur cœur et leur dévouement maternels à préparer les berceaux qui doivent recevoir les premiers bébés. La Crèche prospéra-t-elle? Chose étrange, les premiers pensionnaires sont des vieillards, bientôt suivis par d’autres; puis, on héberge des orphelins, à qui on se met à enseigner.
Parce que la vie de ces premières religieuses était simple, parce qu’elle était tout engagée dans le plan divin, simplement elles s’adaptèrent aux circonstances; elles se penchèrent avec autant d’amour sur le chevet du pèlerin au terme du voyage que sur les berceaux de leurs rêves. La Crèche ne fut donc jamais un refuge pour bébés (quatre ou cinq bébés furent confiés aux Sœurs pendant quelques semaines, et ce fut tout), mais plutôt un asile et un orphelinat, bien que l’appellation ait désigné l’établissement pendant 25 ans…
Quatre mois après l’arrivée des sœurs, en février 1908, Magog a la douleur de perdre son curé. La Communauté inquiète se demande avec angoisse ce qui va advenir de son œuvre encore si fragile; car, n’ayant que des pauvres pour hôtes, les sœurs comptent sur le soutien du curé et la charité du public, mais sœur Marie-Alexandrine est optimiste :
…Je ne crois pas que nos sœurs aient à souffrir, tout le monde les aime et serait prêt pour elles aux plus grands sacrifices…
Jusqu’ici les paroissiens avaient été généreux, mais leurs dons tenaient peut-être au prestige du curé? La générosité se continue à l’arrivée du nouveau curé, l’abbé François-Xavier Brassard. S’il ne fut pas le fondateur de la Crèche, il comprit l’œuvre à peine ébauchée et s’en fit le pourvoyeur et le gardien. Combien de malheureux il a secourus! Les familles pauvres connaissaient le chemin du presbytère ainsi que le résultat de leur démarche: « Allez à la Crèche », disait le curé, et sœur Saint-Didier, jamais à bout de lits et de ressources, donnait asile aux vieillards et aux orphelins. Si les provisions étaient suffisantes, elles n’étaient jamais abondantes; aussi quand sœur Saint-Didier voyait apparaître une nouvelle recrue, elle s’en plaignait quelquefois au curé Brassard. Pour celui-ci, qui ne « semblait pas savoir compter », disait-elle, la réponse était invariable : «La Providence, ma sœur, la Providence…
L’œuvre de la Crèche connut une expansion considérable. Lorsqu’en 1933, le chanoine Brassard partit à la rencontre de cette Providence, qui avait, sans doute, pour lui de grandes réserves dans ses greniers célestes, M. Léon Bouhier le remplaça. À l’exemple de ses prédécesseurs, il se fit l’ange gardien visible de la Crèche.
La ville de Magog s’étendait rapidement; les habitants y désiraient un hôpital. La Congrégation aidée de l’abbé Bouhier fit construire une annexe en 1939. La Crèche devint l’Hôpital La Providence.
En 1961, l’hôpital est devenu trop petit. L’historien de demain racontera le développement que prend La Providence. Dès aujourd’hui, on peut voir un immense édifice s’élever sur la propriété des religieuses. [Il fut inauguré en 1962 et tout le bâtiment ancien devint le Foyer du Sacré-Coeur, en continuité avec sa vocation première.
Nous arrêtons ici l’histoire d’un service humanitaire de première ligne, lequel continue de se développer et de s’adapter aux besoins de la population.